Figement, cet état silencieux qui nous déconnecte de la vie
Au-delà de l'épuisement : comprendre cette réponse naturelle du corps pour retrouver sa vitalité
L'épidémie mal diagnostiquée
Elle a tout pour être heureuse. Un poste à responsabilités qu'elle a décroché à force de travail et de détermination. Une vie sociale qui semble épanouie. Une famille qui fonctionne. De l'extérieur, tout paraît parfait.
Pourtant, chaque matin, c'est la même sensation. Cette lourdeur qui l'envahit avant même d'ouvrir les yeux. Cette impression de regarder sa vie à travers une vitre. D'être là sans être vraiment présente. Les gestes s'enchaînent mécaniquement : se lever, se préparer, sourire aux collègues, assurer les réunions, gérer les dossiers urgents. Fonctionner, encore et toujours.
Le diagnostic est tombé : "burnout", disent certains. "Dépression fonctionnelle", suggèrent d'autres. "Anxiété chronique", proposent les derniers. Les solutions suivent, prévisibles : ralentir, déléguer, méditer, poser des limites, prendre soin de soi. Des conseils sensés, mais qui sonnent creux face à cette sensation d'être déconnectée de tout, même de ses propres émotions.
Et si nous faisions fausse route ? Si ce que vivent tant de femmes professionnelles n'était ni un burnout classique, ni une dépression ordinaire, mais un état physiologique distinct que notre société n'a pas encore appris à reconnaître ?
Dans cet article, je vais vous présenter un état physiologique qui explique ce que vous ressentez bien mieux que le terme "burnout" ne le pourra jamais – et vous proposer une nouvelle voie à explorer.
Le récit du burnout : ce qu'on nous a appris
Le burnout professionnel est généralement décrit comme un état d'épuisement physique, émotionnel et mental résultant d'un stress chronique au travail. On le reconnaît à ses trois piliers : l'épuisement intense, le cynisme grandissant et le sentiment d'inefficacité.
Les solutions conventionnelles suivent une logique implacable : si vous êtes épuisée, reposez-vous. Si vous êtes débordée, apprenez à dire non. Si tout vous pèse, pratiquez la pleine conscience. Si vous ne pouvez plus, prenez un arrêt. Ces conseils reposent sur l'idée que votre état découle principalement d'une mauvaise gestion de vos ressources.
Pour beaucoup de femmes, notamment celles dont le système nerveux fonctionne différemment – les femmes neurodivergentes – ces approches n'apportent qu'un soulagement temporaire, quand elles en apportent. Pourquoi ? Parce qu'elles s'attaquent aux symptômes sans reconnaître le mécanisme fondamental à l'œuvre.
La pièce manquante du puzzle se trouve dans notre physiologie la plus primitive : notre système de survie et la manière dont il façonne, souvent à notre insu, notre expérience du monde.
Au-delà du burnout
Découvrir l'état de figement
Notre corps possède un système de réponse au danger sophistiqué, hérité de millions d'années d'évolution. Face à une menace, quatre réactions instinctives peuvent s'activer :
La fuite : s'éloigner rapidement du danger
La lutte : combattre la menace
Le figement : s'immobiliser pour éviter d'être repéré
La soumission : s'adapter pour apaiser l'agresseur
Ces réponses sont automatiques, instinctives, et déclenchées par notre système nerveux autonome – celui qui fonctionne sans notre contrôle conscient.
Ce que beaucoup de femmes professionnelles vivent n'est pas simplement de l'épuisement – c'est un état de figement chronique. Lorsque nous ne pouvons ni fuir ni combattre les pressions constantes, les attentes contradictoires et les responsabilités écrasantes, notre corps adopte une stratégie de survie alternative : s'immobiliser, se déconnecter, se retirer intérieurement tout en maintenant une façade fonctionnelle.
Le figement se manifeste de façon particulière dans notre monde moderne :
Une sensation d'être "à côté" de sa propre vie
Une difficulté à ressentir pleinement les émotions positives
Une fatigue qui ne s'améliore pas avec le repos
Des douleurs physiques inexpliquées
Une impression d'être ralentie, comme si vous vous déplaciez dans du brouillard
Un détachement émotionnel, même dans des situations censées vous toucher
Contrairement au burnout qui résulte principalement d'un épuisement des ressources, le figement est une réponse active de protection – votre corps vous met "en pause" pour vous préserver d'un danger qu'il perçoit comme constant et inévitable.
L'expérience neurodivergente
Quand votre système nerveux fonctionne différemment
Pour les femmes neurodivergentes – qu'elles se reconnaissent comme telles ou non – la sensibilité du système nerveux est souvent amplifiée. Les stimuli ordinaires peuvent être ressentis avec une intensité décuplée : les bruits de bureau, les lumières artificielles, les interactions sociales, les changements imprévus, les attentes implicites – tout cela constitue une charge sensorielle et émotionnelle invisible mais bien réelle.
Cette hypersensibilité crée un état d'hypervigilance quasi permanent. Votre système nerveux est constamment en alerte, analysant chaque interaction, anticipant les problèmes, adaptant votre comportement pour répondre aux attentes. Ce masque social – cette capacité à paraître "normale" et "adaptée" – consomme une énergie considérable.
Avec le temps, cette dépense énergétique devient insoutenable. Votre corps connaît alors une transition physiologique : de l'hyperactivation chronique (toujours en alerte), il bascule vers le figement chronique (déconnexion protective).
Cette transition explique pourquoi tant de femmes rapportent avoir été "performantes et passionnées" pendant des années avant de soudainement "ne plus rien ressentir". Ce n'est pas un changement de personnalité, mais un changement d'état physiologique – votre corps a changé de stratégie de survie.
Les différences de traitement sensoriel jouent également un rôle crucial dans cet épuisement. Quand chaque stimulus doit être consciemment filtré et géré, les ressources attentionnelles s'épuisent rapidement, ne laissant que peu d'énergie pour la créativité, la joie ou même la simple présence.
Briser le schéma
L'approche somatique
Face au figement chronique, les approches purement cognitives montrent leurs limites. Comprendre intellectuellement ce qui nous arrive est nécessaire, mais insuffisant pour transformer un état physiologique ancré dans notre corps.
C'est précisément là que les approches somatiques – centrées sur le corps – offrent une voie complémentaire essentielle.
L'approche somatique reconnaît que nos traumatismes, nos stress chroniques et nos adaptations sont stockés dans notre corps, pas seulement dans notre mémoire consciente. Nos tensions musculaires, nos schémas respiratoires, notre posture – tout cela reflète et maintient nos états intérieurs.
Le principe fondamental est simple : pour changer notre état, nous devons impliquer le corps. Non pas en le forçant à travers des exercices rigides, mais en l'écoutant avec bienveillance et en lui permettant de compléter ce que j'appelle "les cycles incomplets".
Lorsque nous entrons en état de figement, notre corps accumule de l'énergie défensive qu'il n'a jamais pu décharger. Cette énergie reste piégée, créant des tensions chroniques et maintenant notre système nerveux dans un état d'alerte souterraine.
Les pratiques somatiques permettent d'accéder à ces énergies bloquées, de les reconnaître et de leur permettre de se dissiper naturellement, sans revivre les situations difficiles qui les ont créées.
Cette reconnexion progressive avec les sensations corporelles crée un chemin vers un changement durable, bien plus profond que celui obtenu par la simple gestion des symptômes.
Premiers pas
Une pratique simple à commencer aujourd'hui
Voici un exercice simple mais puissant pour commencer à reconnaître et à libérer l'état de figement. Cette pratique respecte votre rythme et votre sensibilité – vous pouvez l'arrêter à tout moment si elle devient inconfortable.
L'exercice d'ancrage et de pendulation :
Installez-vous confortablement, assise sur une chaise, les pieds à plat sur le sol. Prenez un moment pour remarquer les points de contact entre votre corps et la chaise, entre vos pieds et le sol.
Portez doucement votre attention sur votre respiration, sans essayer de la changer. Simplement, observez son rythme naturel pendant quelques cycles.
Maintenant, identifiez un endroit dans votre corps qui se sent neutre ou agréable – peut-être vos mains, vos pieds, ou une zone de votre visage. Prenez le temps de vraiment sentir cette zone.
Très progressivement, laissez votre attention explorer une zone de tension légère dans votre corps – peut-être vos épaules, votre nuque ou votre mâchoire.
Pratiquez la pendulation : alternez votre attention entre la zone ressource (neutre/agréable) et la zone de légère tension. N'allez pas vers les zones de forte tension pour commencer.
Observez les changements : vous pourriez remarquer des picotements, de la chaleur, des micro-mouvements involontaires. Ce sont des signes que votre système nerveux commence à se réguler.
Terminez en revenant à votre zone ressource et en prenant quelques respirations tranquilles.
Pratiquez cet exercice pendant 3-5 minutes, idéalement chaque jour. L'objectif n'est pas de "résoudre" quoi que ce soit immédiatement, mais de renouer le dialogue avec votre corps et de lui donner l'espace pour commencer à se réguler naturellement.
Une voie différente
Le figement chronique n'est pas un signe de faiblesse ou d'échec – c'est une stratégie de survie sophistiquée que votre corps a adoptée face à des circonstances qui dépassaient vos ressources disponibles.
Reconnaître la différence entre le burnout traditionnel et l'état de figement ouvre la porte à une approche plus nuancée et plus efficace. Au lieu de simplement "gérer le stress" ou "pratiquer l'auto-soin", vous pouvez désormais vous adresser directement au mécanisme physiologique sous-jacent.
Ce chemin ne consiste pas à vous "réparer" – vous n'êtes pas cassée. Il s'agit plutôt d'accompagner votre système nerveux vers un état de régulation et de sécurité, à partir duquel vous pourrez à nouveau accéder à votre vitalité naturelle.
Ce premier article n'est qu'une introduction. Dans les semaines à venir, j'approfondirai chaque aspect de ce processus, en vous guidant étape par étape vers une compréhension plus fine de votre système unique et des pratiques qui peuvent véritablement vous soutenir.
Questions de réflexion & connexion communautaire
Pour approfondir votre exploration personnelle :
Quels signaux votre corps vous envoie-t-il que vous avez peut-être interprétés comme du "burnout" mais qui pourraient indiquer un état de figement ?
Pouvez-vous identifier des moments où vous vous sentez légèrement plus présente, plus connectée à vous-même ? Qu'est-ce qui caractérise ces moments ?
Quelle serait votre première petite étape vers une reconnexion avec votre corps, au-delà de l'exercice proposé ?
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